Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humains rêvent de mutualité et de solidarité, le législateur hésitera longtemps à biffer à coups d’oukazes une forme de propriété qui réalise partiellement ce qui, en d’autres pays, semble une utopie. En lui léguant la propriété collective, le passé a chargé la Russie d’une expérience qui, une fois abandonnée, ne saurait être reprise sans bouleversement. Plus l’objet en est grave, plus il importe que l’expérience soit complète, patiente même. La Russie en doit pour ainsi dire compte à la civilisation. L’un des grands avantages du monde moderne, c’est la variété, l’individualité des peuples. Les États sont pour la civilisation autant d’ateliers, autant de laboratoires diiîérents et rivaux ; chaque nation est un ouvrier ayant son génie et ses outils propres, et il y a profit à ce que toutes ne travaillent pas toujours sur le même patron, ne se copient pas sans cesse les unes les autres. Grande encore au point de vue politique » religieux, juridique, la variété est presque nulle au point de vue du droit de propriété. Seuls, dans le monde chrétien, les Slaves gardent encore à cet égard quelque originalité ; c’est un point sur lequel ils peuvent se faire scrupule d’imiter prématurément l’Europe. Seule, dans les deux mondes, la Russie est, par ses traditions et l’étendue de son territoire, à même d’expérimenter concurremment les deux modes opposés de propriété. On ne saurait pour cela compter sur les Slaves du sud, moins avancés en civilisation, ou déjà envahis par les influences germaniques et latines. Si la communauté du sol doit être mise à l’épreuve en dehors de l’île d’Utopie ou des Icaries révolutionnaires, c’est en Russie, et si l’épreuve veut être concluante, il faut qu’elle dure au moins jusqu’à la libération des terres du moujik.

En attendant, le rôle du gouvernement et de la législation, en face de cette question si passionnément controversée, me paraît des plus simples et des plus commodes. Entre les deux modes de propriété, tant prônés des uns, tant vilipendés des autres, le gouvernement n’a pas de