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solidarité des paysans ; ensuite, et selon les localités, tantôt en exigeant des moujiks un taux de rachat, hors de proportion avec le rendement de la terre, tantôt en leur concédant des allocations insuffisantes. De ces deux cas, le premier est malheureusement le plus fréquent, et il déforme, il dénature la communauté foncière en la transformant en servitude. Dans telle région, dans le pays de Smolensk, par exemple, le prix de rachat a été estimé 50 pour 100 au-dessus de la valeur vénale du sol, et le rendement de la terre ne suffit point à en couvrir les charges annuelles[1]. Comment en de telles conditions le moujik, contraint de payer des taxes excessives et privé de moyens de culture rationnelle, n’épuiserait-il pas rapidement le sol le plus riche ? Souvent, les lots de terre sont offerts pour rien à qui se chargera de l’impôt, et il ne se rencontre pas d’amateurs ; parfois le lot n’est loué que pour la moitié des taxes qui pèsent sur lui. En de telles circonstances, la propriété, individuelle ou collective, ne peut être qu’une charge onéreuse, une sorte de travaux forcés temporaires, au profit de l’ancien seigneur ou de l’État, et de fait, nous avons vu qu’un grand nombre de paysans n’ont racheté que sous la contrainte de la loi.

Dans d’autres régions, et parfois dans les plus fertiles, les paysans, grâce au quart de lot gratuit, n’ont eu que des allocations exiguës, deux ou trois fois moins de terre qu’ils n’en avaient en jouissance au temps du servage. Les lots attribués à chaque famille ne sauraient suffire à son entretien, et, ce qui est plus grave, ne sauraient donner lieu à une exploitation régulière. Dans ce cas, la modicité des allocations expose, dès aujourd’hui, la commune agraire au péril, dont la menace ailleurs l’accroissement de la population. Le paysan, incapable de vivre sur la terre qui lui

  1. Pour comprendre cette anomalie, le lecteur se rappellera qu’en réalité l’opération de rachat ne porte pas tant sur le sol que sur les redevances qui, au temps du servage, pesaient à la fois sur la terre et sur la personne du paysan.