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recueillir tous les fruits de son travail ? En reculant les époques de partage, le paysan de la commune se trouve dans la situation d’un fermier à long bail[1]. Entre ces deux hommes ou ces deux situations, quelle est la différence ? Il n’y en a qu’une, tout à l’avantage du moujik, c’est que, l’opération de rachat une fois terminée, il ne payera pas d’autre loyer de la terre que l’impôt. Si, avec une jouissance de douze, quinze, vingt ans, il peut y avoir encore des améliorations coûteuses, des travaux d’avenir que le détenteur temporaire du sol n’ose entreprendre, la même difficulté n’existe-t-elle point avec le régime des fermages en vigueur dans les régions agricoles les plus florissantes de l’Europe ? Une solution équitable de ce délicat problème ne serait-elle même pas plus aisée avec la propriété collective russe qu’avec la propriété individuelle anglaise, car, dans le premier cas, le propriétaire n’étant que la collectivité des cultivateurs réunis, ses intérêts sont identiques aux leurs, et près d’un tel maître, les fermiers ne pourraient avoir grand mal à faire triompher leurs droits[2] ?

  1. L’analogie, entre l’usufruitier temporaire d’une part du champ communal et le fermier à bail d’une propriété privée, est assez visible pour se passer de démonstration. Certains défenseurs de la commune, tels que M. Kochelef, en ont tiré parti pour leur plaidoyer en faveur du mir. D’autres plus absolus, tels que le prince Vasiltchikof (t. II), se refusent à reconnaître cette analogie, proscrivent le fermage, comme un mode d’exploitation irrationnel qui appauvrit fatalement le sol, et invitent l’État à interdire ou à restreindre par des lois cette pernicieuse coutume de l’Occident, sans remarquer que la plupart de ces arguments contre le fermage se retournent contre la jouissance temporaire, usitée dans le mir. Voyez le Socialisme agraire et le régime de la propriété en Europe. (Revue des Deux Mondes, 1er mars 1879).
  2. Cette question des améliorations du sol par le fermier et des dédommagements auxquels ses améliorations lui peuvent donner droit à sa sortie est une de celles qui préoccupent le plus aujourd’hui les agronomes et les économistes anglais. Voyez par ex. William E. Bear, The Relations of landlord and tenant in England and Scotland, publication du Cobden Club, Londres, 1876, chap. I, III. Le prince Vasiltchikof, ici plus logique, voudrait que la loi reconnût aux paysans le droit de se faire indemniser par la commune des dépenses faites par eux pour l’amélioration du fonds (Zemlévladênié i zemlédélié, t. II, p. 764, 773). Un autre écrivain russe, M. Posnikof, qui s’est attaché à comparer les effets du mir avec ceux du fermage à l’étranger, est arrivé à des conclusions analogues. (Obchtchinnoé zemlévladénié, Iaroslavl I, 1875.)