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chants d’ailleurs fort divers, à des conclusions ou à des spéculations à demi socialistes. Chez beaucoup des admirateurs du mir, les lieux communs du socialisme occidental ne sont pour la commune moscovite qu’un ornement d’un goût douteux, une parure voyante, destinée à lui attirer l’attention et la faveur du vulgaire. En associant leur antique régime agraire à des nouveautés paradoxales, ces apôtres du régime de la communauté oublient que, auprès des esprits sobres, ils le compromettent au lieu de le recommander.

Dans le combat engagé autour d’elle, depuis le milieu du règne de Nicolas, la commune russe semblait, avant la guerre de Bulgarie, plutôt en train de perdre du terrain que d’en conquérir. Le préjugé public, qui jadis était pour lui, paraissait déjà près de tourner contre le mir. En remettant temporairement en honneur tout ce qui de nom ou d’apparence est slave, la dernière guerre d’Orient a relevé la popularité en déclin du mir des moujiks. L’agitation nihiliste, de la fin du règne d’Alexandre II, a peut-être aussi contribué indirectement à raffermir les communautés de village, en écartant pour longtemps des conseils du gouvernement toute velléité d’abroger législativement le système agraire traditionnel, de peur de fournir aux ennemis de l’ordre une arme périlleuse.

Les téméraires exagérations des partisans de la communauté ont parfois provoqué, dans le camp opposé des spéculations et des illusions presque également excessives. Sur cette question si complexe, il est peu de Russes qui n’aient une opinion arrêtée, tranchée et absolue. Sur aucun point, j’en ai souvent été frappé, le dogmatisme ne se donne aussi librement carrière ; sur aucun, les Russes n’ont autant de peine à s’en tenir au point de vue critique. Amis et ennemis de la commune me font, je l’avoue, fréquemment l’effet d’en outrer, en sens inverse, les qualités et les défauts. Le manque de mesure, le manque d’impartialité, qui frappe dans cette polémique, s’explique sans