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Sans le retard que l’histoire a fait subir aux régions du sud, la densité de la population serait à peu près en raison directe de la fécondité de la terre.

Cette tendance donne la raison d’un curieux phénomène statistique. Si l’on prend la Russie d’Europe avec la Pologne, on trouve que les deux tiers des habitants n’occupent pas un tiers du territoire, et, chose plus singulière, c’est dans la zone la plus peuplée que la population augmente le plus vite. Cette apparente anomalie s’explique aisément : la zone où la population est la plus dense et progresse le plus renferme les parties les plus productives de l’empire. Elle comprend les deux régions qui possèdent les meilleures terres, le Tchernoziom et les steppes à sol arable ; elle embrasse la grande contrée industrielle de Moscou, et enfin, sur les frontières occidentales, une région mixte, à la fois agricole et industrielle, composée du royaume de Pologne avec une partie des provinces voisines, pays dont la position géographique et l’ancienne civilisation favorisent l’essor. La région industrielle de Moscou doit sa nombreuse population moins à des causes historiques qu’à sa situation centrale entre les deux grandes voies fluviales de l’intérieur, le Volga et son affluent l’Oka, et au double voisinage des plus belles contrées forestières du Nord et des plus fertiles terres du Tchernoziom. Réunies, ces quatre régions n’occupent guère, en deçà de l’Oural, que 1 600 000 ou 1 700 000 kilomètres carrés sur une surface de près de 5 millions 1/2, tandis qu’elles comptent 55 ou 60 millions d’habitants sur un total d’environ 90. C’est à leur point de jonction, vers le méridien de Moscou et au sud de cette ville, que se trouve le centre de gravité naturel de la Russie. Ce sont là les parties vitales de l’empire : les autres régions, qui comprennent les deux tiers de son territoire européen, n’en sont que des appendices plus ou moins indispensables ; toute leur importance est déterminée par leurs relations avec ce noyau central, les unes le reliant à la mer et par de longs fleuves lui ouvrant des débouchés sur