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terre, situés parfois à plusieurs lieues de distance, dépense une bonne part de son temps et de ses forces en voyages inutiles, à tel point qu’il n’est pas rare de voir des parcelles éloignées, entièrement abandonnées de leurs détenteurs. C’est encore que beaucoup de terrain est perdu en limites et beaucoup de grain en semence. C’est enfin que ces parcelles emmêlées manquent de libre issue et sont fréquemment si étroites qu’elles en deviennent difficiles à labourer ou à herser. Par là, les cultivateurs se tiennent mutuellement dans une dépendance, fatale à toute initiative individuelle. Les voisins, incapables d’agir seuls, sont contraints de s’entendre, et l’on arrive à la culture obligée, au flurzwang des Allemands. On est conduit à remettre à la commune le soin de décider du temps, si ce n’est toujours de la nature des travaux. L’égalité mathématique n’a ainsi triomphé dans l’allotissement qu’au détriment de la liberté dans la jouissance. L’excès du morcellement ramène indirectement à une sorte d’exploitation commune, ou du moins simultanée, que des moyens de culture perfectionnés pourraient rendre profitable, mais dont la routine, aujourd’hui régnante, fait une entrave de plus au progrès.

On ne saurait corriger de tels défauts, sans renoncer à la décevante chimère de lots absolument identiques et aux pratiques enfantines d’une égalité, toute grossière et matérielle, qui semble vouloir attribuer à chacun une motte de terre pareille. Au lieu de donner à chaque famille un morceau de chaque classe de terre, il faudrait composer des lots arrondis, de grandeur variable, selon la qualité du fonds ou l’éloignement du village. De tels lots, équivalents en valeur, pourraient comme aujourd’hui être tirés au sort. Une pareille réforme ne mettrait cependant pas toujours un terme à l’extrême morcellement du sol. Dans les communes les plus pauvres, les lots resteraient d’une exiguïté que, de génération en génération, viendrait encore aggraver l’accroissement de la population[1].

  1. A Java, ou domine également la propriété collective, des causes sembla-