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faciliter la liquidation agraire au moyen d’un plan de colonisation systématique, au lieu de laisser le moujik aller au hasard chercher au loin la terre promise. Peut-être n’auraient-ils pu, en menant l’application de la réforme à leur gré, remplir toutes leurs espérances et éviter toutes les déceptions. En tout cas, comme nous l’avons dit ailleurs[1], si l’émancipation n’a pas été exempte de fautes ou d’illusions, on ne saurait sans injustice en rejeter toute la responsabilité sur des hommes qui furent parfois contraints d’altérer leur œuvre contrairement à leurs vues, et qui, après avoir laborieusement rédigé et codifié des lois compliquées, en durent abandonner l’application à d’autres.

Pour n’avoir pas donné tout ce qu’en attendait l’impatience de ses promoteurs, l’abrogation du servage est loin d’avoir été aussi stérile qu’on se plaît souvent à le répéter. Politiquement, les effets de l’émancipation semblent avoir été presque nuls ; à tout autre égard, les conséquences en sont nombreuses et déjà apparentes. Il serait difficile de les énumérer toutes en quelques pages. On pourrait cependant les ramener à trois points principaux : progrès économique, grâce au stimulant donné à la production, par la liberté du travail et la concurrence ; progrès moral, grâce à l’affranchissement de la conscience populaire et au sentiment nouveau de la responsabilité ; enfin transformation sociale, grâce à l’affaiblissement des habitudes patriarcales au profit de l’individualisme.

Les résultats économiques sont peut-être les plus difficiles à évaluer, et cela pour deux raisons : 1o parce que la propriété, l’agriculture et toute l’économie rurale ne sont pas encore sorties de la confusion ou de l’incertitude des époques de transition ; 2o parce que les effets de l’affranchissement varient, pour les deux classes intéressées, selon les régions, les provinces, les communes, varient même, pour les anciens seigneurs, selon le caractère, les qualités ou les

  1. Un homme d’État russe d’après sa correspondance inédite.