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CHAPITRE IV


Résultats de l’émancipation. — Comment les mœurs et l’étai social en ont été moins affectés que ne le supposaient adversaires et partisans. — Les déceptions et leurs motifs. — Résultats économiques. — Combien ils diffèrent suivant les régions. — Comment l’émancipation a souvent plus modiflé les conditions d’existence du maître que celles du paysan. — Conséquences morales et sociales.


Ce n’est pas seulement dans les cabanes du moujik que l’émancipation a paru donner moins qu’elle n’avait promis. Cette révolution qui touchait aux bases mêmes de la société et de la propriété, qui, aux yeux des hommes d’État, pouvait mettre en péril tout l’ordre social, s’est accomplie pacifiquement, presque sans trouble, ni agitation : l’affranchissement des serfs a été un grand succès, et, pour beaucoup de ceux qui y ont travaillé, il a été une déception.

Aux deux extrémités du monde civilisé, en Russie et aux États-Unis d’Amérique, s’est accomplie presqu’au même moment, mais avec des moyens bien divers, une œuvre analogue. En Amérique, la libération des esclaves, achetée au prix d’une guerre meurtrière et conduite par la violence, sans arbitre ni pouvoir médiateur, a temporairement jeté l’ancien maître blanc aux pieds de l’affranchi noir, et établi au bord du golfe du Mexique un état de choses presque aussi attristant, aussi périlleux que l’esclavage même. En Russie, au contraire, l’émancipation n’a amené aucune lutte de classes, et il n’en pouvait sortir de luttes de races ; elle n’a engendré ni animosité ni rivalité, la paix sociale n’a pas été troublée, et cependant des deux pays, le plus