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parmi eux, a en effet provoqué de nombreuses déceptions. Dans les riches contrées de la terre noire, où le plus souvent le sol a rapidement acquis une valeur supérieure au taux légal du rachat, les tenanciers, qui avaient le plus à perdre à cette combinaison, l’ont mainte fois agréée avec joie ou même réclamée avec instance, satisfaits d’être délivrés du poids des redevances et se leurrant du vague espoir de quelque nouvelle répartition gratuite.

Encore un trait de mœurs qui mérite d’être signalé : l’une des choses qui ont le plus fortifié le penchant de certains paysans pour ce quart de lot gratuit, c’est l’éloignement témoigné d’abord pour ce mode d’expropriation, sans indemnité, par la plupart des propriétaires, bien souvent assez peu clairvoyants sur leurs propres intérêts pour ne pas comprendre qu’ils pouvaient avoir avantage à faire le sacrifice des indemnités de rachat, en prévision de la hausse probable de la rente du sol[1]. L’expérience eut bientôt dessillé les yeux des paysans ; la plupart des contrats de ce genre remontent aux deux ou trois premières années. Le peuple a donné à ce quart de lot gratuit le surnom de lot du mendiant, et de fait, les communes où il a été adopté se trouvent maintenant d’ordinaire plus pauvres que leurs voisines. Dans les riches contrées du tchernoziom, où la terre a singulièrement augmenté de valeur, les paysans, qui ont recouru à ce mode de règlement, sentent avec amertume leur erreur[2] ; ils se plaignent et

  1. Je trouve, à cet égard, dans une des lettres de Iouri Samarine, un passage caractéristique : « La grande popularité, parmi les paysans, de l’article 123, qu’ils ont surnommé la part de l’orphelin (sirolski nadéï, s’explique principalement par une erreur des propriétaires eux-mêmes, qui pour la plupart commençaient leurs conférences avec les paysans, relativement aux chartes réglementaires (oustavnyia gramoty), en se déclarant prêts à consentir à tout, sauf au quart de lot gratuit (art. 123). Cela suffit pour que le paysan s’imaginât que là était le parfait bonheur. Pour moi, qui avais annoncé que je consentais à tout, sans faire exception pour un seul article, je n’ai pas eu une seule demande du lot de l’orphelin. » Samarine à N. Milutine, le 17 août 1862.)
  2. Il semble au premier abord que les 642 000 paysans qui, au 1er janvier