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ce que l’ancien serf la doit payer. Aussi nombre des affranchis, contraints de racheter, ont-ils usé de la faculté de n’acquérir que le minimum légal.

Les rachats forcés prévalent dans les régions du Nord, dans les gouvernements de Pétersbourg, Novgorod, Pskof, Tver, Smolensk, Moscou et généralement dans les contrées peu fertiles. Les rachats opérés par consentement mutuel l’emportent au contraire dans le Sud, dans les gouvernements de Poltava, Tchernigof, Kharkof, Kherson, et généralement dans les riches pays à terre noire. Dans le premier cas, le sol étant peu fertile et le taux du rachat, calculé sur le taux des anciennes redevances, étant relativement élevé, le seigneur a eu tout intérêt à tirer des terres de ses paysans le prix que la loi l’autorisait à en exiger. Dans le cas opposé, le sol étant d’ordinaire d’une remarquable fécondité et, grâce au développement de la population et des voies ferrées, la terre augmentant toujours de valeur, le propriétaire avait peu d’intérêt à s’en défaire au prix légal, devenu le plus souvent fort inférieur à la valeur réelle[1].

On voit par là que, tout en étant fondée sur des règles identiques, l’émancipation n’a pu produire partout les mêmes effets, que parfois elle a pu être onéreuse aux paysans et parfois aux propriétaires. De là, en partie, la différence des jugements qu’en Russie même on entend porter sur cette grande réforme. Parmi les anciens détenteurs du sol, les plus malheureux ont été les moins riches. L’État a dû venir au secours des petits propriétaires qui, ne possédant que quelques serfs dont ils louaient le travail, se

  1. D’après les commissions d’enquête agricole, le taux du rachat, tel qu’il avait été fixé en 1861, était, dans la partie septentrionale des terres noires et dans quelques contrées de l’Ouest, de 10, 30, 50, parfois de 100 pour 100 plus bas que la valeur vénale actuelle. Dans le Nord-Ouest, le Nord et l’Est, au contraire, le taux du rachat est de 10, 30, 50 pour 100, parfois même de 100 pour 100 plus élevé que les prix actuels. Il n’y aurait que neuf gouvernements où la différence en plus ou en moins ne dépasserait pas 10 pour 100.