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les défiances du moujik, par sa répugnance à payer un champ sur lequel il se croyait un droit ; mais ce n’est là ni la seule, ni peut-être la principale raison. La loi même donnait une sorte de prime aux résistances du paysan, la loi l’encourageait indirectement à ne procéder au rachat que forcé et contraint par le propriétaire. Le statut d’émancipation a bien permis à ce dernier d’exiger la libération de ses tenanciers ; mais, dans ce cas, il a dû se contenter des sommes avancées aux paysans par l’État, c’est-à-dire qu’il n’a touché que les quatre cinquièmes du prix fixé par les évaluations réglementaires, la loi lui interdisant de rien réclamer en plus des affranchis.

Les paysans avaient ainsi le plus souvent un intérêt manifeste à se laisser imposer le rachat, puisque cela pour eux équivalait à une diminution de prix. Les évaluations réglementaires étant calculées sur la capitalisation des redevances, les anciens serfs, qui ont procédé au rachat forcé, se trouvent assujettis à des annuités moins lourdes, depuis que, au lieu de la simple jouissance, ils ont acquis la pleine propriété de leurs champs[1]. Le rachat, loin de leur imposer une surcharge, leur vaut un allégement notable. C’est ce que désiraient avant tout le souverain et les membres des comités de rédaction. Tout, dans cette opération, paraît profit pour le moujik, et cependant, ces paysans, qui ont l’air d’avoir été favorisés, sont souvent parmi les moins satisfaits. La raison en est simple : comme les évaluations du taux du rachat ont pour base le chiffre des redevances annuelles et non la valeur réelle du sol, la terre, ainsi cédée en apparence à prix réduit, est fréquemment loin de valoir

  1. Un exemple fera mieux comprendre ce fait. Des paysans payaient à leur ancien seigneur, d’après les chartes réglementairea, une redevance annuelle de 7 roubles 1/2. Le taux de rachat de cette redevance, calculé sur la capitalisation à 6 pour 100, était de 125 roubles. Or, sur cette somme, les paysans contraints à racheter par le propriétaire, n’ont dû verser que les 4 cinquièmes avancés par l’État, soit 100 roubles ; et pour cette avance de 100 roubles, ils ne payent à l’État qu’un intérêt de 6 pour 100, amortissement compris, soit 6 roubles par an au lieu de 7 roubles.