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ont demandé l’avance des sommes exigées pour le rachat, ou plus exactement l’avance des quatre cinquièmes de cette somme, calculée sur le taux de capitalisation des redevances[1].

Pour le propriétaire, ce système a l’immense avantage de transformer une créance privée sur le paysan en créance publique sur l’État, de convertir les redevances annuelles de l’affranchi en une sorte d’impôt temporaire dont les agents du fisc assurent la rentrée. Quant au paysan, il y gagne de pouvoir acquérir sans délai la propriété du sol et de rompre les rapports obligatoires qui l’enchaînaient encore à son ancien maître. L’État s’est, dans leur intérêt commun, fait comme le banquier des deux parties.

En offrant son assistance aux paysans, l’État en devait naturellement déterminer la mesure et les conditions. Pour ne pas s’engager d’une manière imprudente, il dut fixer des limites au concours financier que l’on pouvait réclamer de lui. Telle est, d’après N. Milutine, la vraie signification des estimations officielles, insérées dans le règlement d’émancipation[2]. En fixant d’avance, selon les régions et les circonstances, le capital que pouvait avancer l’État, le législateur a voulu marquer les limites dans lesquelles il était permis d’engager le crédit public.

Une telle précaution était indispensable, et on a trop souvent perdu de vue cette nécessité en critiquant les évaluations réglementaires, tantôt comme insuffisantes pour le propriétaire, tantôt comme onéreuses pour le paysan. Les deux parties sont restées libres de conclure d’autres arran-

  1. Le prix du rachat, en effet, est d’ordinaire calculé non sur la valeur vénale de la terre, mais sur le montant de l’obrok ou redevance payée par les anciens serfs, pour la terre dont les chartes réglementaires leur laissaient la jouissance. Le taux légal du rachat s’établit en capitalisant à 6 pour 100 les redevances payées en espèces, ou autrement dit, en multipliant ces dernières par 16 2/3. De là vient que le taux du rachat est souvent sans rapport avec la valeur réelle du sol, tantôt supérieur, tantôt inférieur.
  2. Discours à la Société d’économie politique. (Journal des Économistes, juin 1863.)