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pomêchtchiki, auxquels la richesse rendait la générosité facile, était d’ordinaire plus heureux ; habituellement il était soumis à une redevance fixe. Le maître usait même rarement de la capacité ou des bonnes affaires de ses paysans pour augmenter le taux de leur obrok. Tel grand seigneur, comme un Chérémétief, avait pour serfs des marchands millionnaires et se serait fait scrupule de profiter de leur opulence, tandis que sa vanité ne se faisait point conscience de les retenir dans le servage.

Les paysans de la couronne ou paysans libres, établis sur les terres de l’État, étaient au régime de l’obrok. Outre l’impôt de capitation et les taxes locales, ils payaient à l’État une redevance qu’on pouvait regarder comme une sorte de loyer de la terre et qui oscillait entre 2 et 3 roubles par paysan mâle. Ces paysans, n’ayant d’autre seigneur que l’État, avaient deux grands avantages : l’un de payer des redevances plus fixes et moins lourdes ; l’autre de ne point appartenir à des maîtres changeants, variant d’humeur et de procédés d’un domaine à l’autre. Ils étaient en possession de libertés communales, et, lors de l’émancipation, leurs institutions ont en partie servi de modèles à l’organisation administrative des serf affranchis. En dépit de la pression et des concussions d’employés souvent corrompus, les paysans de la couronne étaient d’ordinaire plus riches que les paysans des particuliers. Encore aujourd’hui, leurs villages ont un air de bien-être relatif qui les fait souvent reconnaître à première vue.

Ces paysans des domaines, attachés au sol comme les autres, formaient jadis le fonds ou le trésor vivant dans lequel puisait le souverain pour distribuer aux serviteurs de l’État des serfs avec des terres. Catherine II fut la dernière à pratiquer ces allocations d’hommes ; elle en gratifia largement ses ministres ou ses favoris, et ces générosités sont restées une des taches de son règne. À l’empereur Alexandre Ier revient le mérite d’avoir interdit ces dons de paysans et créé une classe de cultivateurs libres.