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disant que leurs ancêtres ont sauvé le Capitole. « Et vous, qu’avez-vous fait ? leur demande un passant. — Nous, rien, mais nos ancêtres… — Eh bien, mes amies, vous n’êtes bonnes qu’à rôtir. » L’antiquité de la race en impose peu au sens positif, au sens réaliste du Russe. Demeuré, en dépit de toutes les divisions de classes, libre de tout esprit de caste, il n’a point pour la naissance le respect instinctif dont est souvent imbu l’Anglais ou l’Allemand.

En Russie, les promoteurs des idées hiérarchiques font en réalité la même faute que leurs adversaires, les promoteurs des idées radicales. Aristocrates ou démagogues ne font à leur insu qu’imiter et contrefaire l’Occident. Les uns et les autres veulent appliquer aux problèmes nationaux des méthodes et des procédés d’emprunt ; les uns et les autres prétendent habiller leur patrie sur un patron étranger. La grande différence est que les conservateurs aristocrates ont choisi le modèle qui s’adapte le moins aux mœurs nationales et se heurte le plus aux tendances nouvelles de la civilisation. S’il est facile de découvrir, dans les vieilles institutions anglaises ou prussiennes, telle ou telle garantie conservatrice, il est malaisé de dérober à d’autres États, pour sa patrie, ce que la nature ou l’histoire lui ont refusé. Il en est des formes sociales comme du sol, comme de la configuration même d’un pays. En parcourant leurs plates steppes du sud ou leurs forêts tourbeuses du nord, des Russes peuvent se dire que de hautes collines donneraient aux cultures de la variété, et de l’agrément au paysage, que des chaînes de montagnes couvertes de neige serviraient de réservoir aux eaux et de barrière aux vents. Libre à eux de regretter les beautés ou les avantages des contrées plus coupées, plus accidentées, quoique les larges plaines aient leur poésie aussi bien que leur richesse. Sur ce sol déprimé, il ne vient à personne l’idée d’élever des collines et de dresser des montagnes. Telle est cependant la prétention des hommes qui, dans une société dénudée de privilèges et nivelée par les siècles, se flattent de reconstruire des