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les privilèges personnels, les droits corporatifs du dvorianstvo lui ont été bénévolement concédés, gratuitement octroyés par la couronne. C’est encore Catherine II, entraînée par l’esprit libéral de la fin du dix-huitième siècle, qui, entre la guerre de l’indépendance américaine et la révolution française, dota la noblesse russe de droits nouveaux pour elle, et à cette classe, alors la seule cultivée, la seule capable d’exercer quelques droits politiques, remit une part importante de l’administration et de la justice. Jusqu’à cette date, s’il y avait des nobles en Russie, il n’y avait point de corps de noblesse. Catherine, la première, aggloméra les dvorianes en corporations provinciales au profit du self-government administratif. Ce n’était point là une nouveauté isolée ; ce qu’elle faisait pour la noblesse, la tsarine le répétait à peu d’intervalle pour d’autres, pour les villes et la bourgeoisie notamment. Elle cherchait à réunir les diverses parties du peuple en groupes compacts, en corps organisés, ayant un esprit et des intérêts communs, pour les appeler à prendre part aux affaires locales, chacun dans sa sphère, suivant la seule manière dont on comprit alors la participation d’un peuple à son gouvernement, par classe, ordre, ou corporation.

Quelle fut la cause de l’échec de cette noble tentative ? Ce ne fut point seulement la nature du pouvoir autocratique, qui demeure entier alors même qu’il semble se dépouiller ou se borner lui-même ; ce fut avant tout l’incapacité des diverses classes, noblesse ou bourgeoisie, à user des droits qui leur étaient attribués. Pour tirer parti de ces privilèges corporatifs, une chose était indispensable, l’esprit de corps, et toutes les classes en étaient également dépourvues. Sous ce rapport, le dvorianstvo n’a pas fait exception à la tradition ou au génie russe, le noble rasé du dix-huitième siècle n’a pas différé du droujinnik ou du boyar des anciens temps. Le peu de résultats des assemblées de la noblesse s’explique par la même raison que le peu de succès des guildes de marchands et des corporations ouvrières. Pas plus que