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dans des conditions climatériques beaucoup moins défavorables que les steppes de l’extrème-Sud. Elle doit son nom de Terre noire, tchernoziom, à une couche d’humus noirâtre, d’une épaisseur moyenne de 50 centimètres à 1 mètre 1/2. Ce terreau est principalement composé de marne et d’une moindre proportion d’argile grasse, mêlées à des matières organiques. Il se dessèche rapidement en se convertissant en une fine poussière ; mais, avec une égale promptitude, il s’imprègne d’humidité, et, sous l’action de la pluie, reprend l’aspect d’une pâte noire comme la houille. La formation de cette couche d’une admirable fertilité est attribuée à la lente décomposition des herbes du steppe, accumulées pendant des siècles.

Le tchernoziom s’étend en longue bande sur toute la largeur de la Russie d’Europe. Partant de la Podolie et de Kief au Sud-Ouest, il monte vers le Nord-Est jusqu’au delà de Kazan ; interrompu par l’Oural, il reparaît en Sibérie dans le Sud du gouvernement de Tobolsk. Le tchernoziom, dans sa partie septentrionale, conserve encore quelques bois. À mesure que l’on avance vers le Sud, ces bois diminuent de taille et de grandeur pour disparaître peu à peu. Au milieu des plaines sans bornes, les derniers bouquets de chênes, de trembles ou d’ormes semblent de petites îles perdues dans l’immensité. Les arbres sont isolés, les buissons même finissent par s’effacer. Il ne reste que des terres de labour, un champ sans limite, s’étendant uniformément sur une longueur de plusieurs centaines de lieues, comme une Beauce gigantesque de 600 000 à 700 000 kilomètres carrés.

Mal cultivée, à l’aide d’instruments souvent encore primitifs, cette région est, avec le bassin du Mississipi, un de ces grands magasins de blés qui permettent au monde moderne de défier toute famine. La fécondité de ce sol encore neuf semblait naguère inépuisable, et, longtemps, le laboureur a pu croire qu’il n’aurait jamais besoin de fumier ni d’engrais d’aucune sorte. Aujourd’hui, il est vrai,