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devait le jour. De là l’aversion d’une partie même de cette noblesse, sortie du tchine, pour ce père qui la tenait toujours en tutelle et lui défendait toute émancipation.

D’après la législation établie par Pierre le Grand, une famille, qui, pendant deux générations consécutives, demeurait hors du service, perdait ses droits de noblesse. Cette règle a été abolie par Pierre III, et le dvorianstvo affranchi de cette obligation. Si la plupart des nobles entrent au service, beaucoup ne font plus que le traverser. Après quelques années de jeunesse, passées dans la garde ou dans une carrière civile, les gentilshommes, qui possèdent l’indépendance de la fortune, s’adonnent librement au plaisir ou à l’étude, au repos ou au travail. Par là même on peut aujourd’hui, dans le dvorianstvo, distinguer deux types, deux vocations, deux hommes différents, et par suite deux courants d’idées à la fois simultanés et opposés. Comme tout propriétaire noble ne demeure plus au service, comme tout serviteur de l’État n’arrive plus à la propriété en même temps qu’à la noblesse, les deux qualités, les deux fonctions sociales, jadis unies et corrélatives du dvorianstvo, se sont séparées, et, après avoir été depuis le moyen âge la condition l’une de l’autre, sont entrées en lutte plus ou moins ouverte. Depuis qu’ils ne sont plus les deux aspects, les deux faces du même homme, depuis qu’ils se sont dédoublés, le propriétaire et le fonctionnaire, le pomêchtchik et le tchinovnik sont parfois devenus rivaux et jaloux l’un de l’autre.

Chez le grand propriétaire, libre de son temps et de sa fortune, se font jour des aspirations nouvelles, des prétentions aristocratiques formulées plus ou moins discrètement, au nom des droits de l’éducation ou de la propriété, appuyées ostensiblement sur les besoins conservateurs, sur l’intérêt de l’ordre social et du trône. Chez le fonctionnaire, tenu par le manque de fortune dans la dépendance du service, se conserve l’ancien esprit du tchine, et parfois surgissent des tendances égalitaires, des instincts