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l’expérience n’a pas été favorable à cette sorte de primogéniture artificielle, dépendant de l’arbitraire paternel et non plus du hasard de la naissance. L’oukaze de Pierre fut abrogé dès 1730, après avoir été pour les familles, durant sa courte existence, un principe de jalousie et de division. L’ancienne coutume nationale du partage égal fut restaurée, et, lorsqu’on les autorisa de nouveau, les majorats, créés en faveur d’un des fils, durent, comme en Angleterre ou en Allemagne, passer d’ainé en aîné.

Dans ces nouvelles conditions, les majorats[1] ne sont pas encore parvenus à se répandre chez la noblesse russe. En dépit de la faveur qu’ils semblent rencontrer dans quelques hautes régions sociales, le nombre en demeure jusqu’ici peu considérable. Un oukaze de l’empereur Nicolas, daté de 1845, a eu beau accorder à tout sujet noble le droit de fonder un ou plusieurs majorats : c’est là une prérogative dont la noblesse s’est peu servie. La valeur élevée, que la loi exigeait des biens érigés en majorat, n’explique qu’en partie celle abstention. D’après l’oukaze de 1845, il fallait une terre libre de toute hypothèque, peuplée d’au moins deux mille paysans ou rapportant un revenu annuel d’au moins 12 000 roubles. L’institution ainsi réglementée n’est qu’à la portée des grandes fortunes ; mais, pour avoir quelque efficacité politique, un majorat doit toujours être considérable ; autrement ce n’est pour la société qu’une inutile et encombrante mainmorte. Le principal obstacle à la diffusion des majorats, et par leur moyen à l’établissement d’un droit d’aînesse, ce sont les mœurs, c’est la tradition nationale et les instincts démocratiques de la nation. L’esprit russe se montre à cet égard fort différent de l’esprit polonais comme de l’esprit allemand, qui, dans les provinces baltiques de la Russie, a jusqu’ici fait prévaloir ses penchants aristocratiques. Il est des partisans théoriques

    terdisant le partage, refusait an père de famille le droit de distribuer sa fortune entre ses enfants ou entre des étrangers.

  1. En russe sapovédnyia iméniya ou biens défendus.