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sous la tutelle du mari, et, d’une manière générale, l’on peut dire qu’au point de vue de l’émancipation ou de l’indépendance des femmes, aucune société de l’Europe n’est plus avancée ni plus libérale que les hautes classes de cette Russie, dont les lois sont pour elles si peu généreuses.

Le mode de succession, qui consacre l’inégalité de l’homme et de la femme, compte encore aujourd’hui des partisans dans les pays où règne le Code Napoléon. En France même, ce régime a les sympathies des esprits inquiets des progrès de la démocratie, il a les préférences avouées de toute une école de publicistes contemporains. À défaut du droit d’aînesse, le privilège d’un sexe sur l’autre leur paraît une garantie sociale, une mesure protectrice de la transmission des fortunes et de la perpétuité des familles ; cette opinion ne semble pas toujours confirmée par l’exemple de la noblesse russe. La plupart des défauts, reprochés au partage égal entre tous les enfants, se retrouvent dans le partage restreint aux mâles. À ne considérer que les classes et non les individus, l’un et l’autre régime ont, sous le rapport économique comme sous le rapport politique, des effets analogues, presque identiques ; il n’y a de sérieuse différence qu’au point de vue moral, au point de vue du mariage et de la situation de la femme. Là où la loi reconnaît à tous les enfants un droit égal à la succession paternelle, la part diminuée des fils est recomplétée par le mariage ; la femme restitue en moyenne au mari ce que la sœur enlève au frère. Des deux modes de partage, le plus favorable à l’aristocratie ou au maintien des grandes situations, au maintien des influences traditionnelles, n’est pas toujours celui qui fractionne le moins les biens. Si le partage entre les mâles seuls divise moins les terres et les fortunes, le partage entre tous les enfants offre plus de facilité de les reconstituer ou de les arrondir par des alliances. Avant la Révolution déjà, la noblesse française, bien que protégée par le droit d’aînesse, avait souvent recours à ce moyen de fumer ses terres. Les aristocraties