Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/332

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne fait pas non plus partie d’une corporation d’ouvriers. Il vit d’ordinaire d’un petit commerce ou de métiers manuels. Beaucoup n’ont point de moyens d’existence assurés. Il y a ou il y avait, jusqu’à ces derniers temps, une limite imposée à leur commerce et à leur fortune immobilière ; ils ne pouvaient dépasser un certain chiffre d’affaires ni posséder un immeuble de plus de cinq ou six mille roubles. Pour aller au delà, ils devaient se faire inscrire parmi les marchands. Bien qu’il soit proprement l’habitant légal des villes, le citadin par excellence, le mechtchanine est souvent obligé d’aller chercher fortune au village. Dans certains gouvernements, le nombre des metchtchanes établis à la campagne est considérable, tandis que le paysan, qui dans le travail de la terre ne peut toujours trouver une occupation permanente ou une suffisante rémunération, se presse fréquemment dans les villes et y a conquis le monopole de divers métiers. À Saint-Pétersbourg seul vivent près de deux cent mille paysans[1]. Les deux classes changent de résidence et prennent souvent ainsi la place l’une de l’autre, tantôt se faisant concurrence pour le travail manuel et le petit commerce, dans les fabriques ou dans les foires, tantôt gardant chacune leurs professions de prédilection, le mechtchanine apportant à la campagne les arts et les procédés de la ville, le moujik apportant à la ville ses bras, sa hache, son cheval : tous deux exposés dans cette interversion des rôles et de la résidence à des chances diverses, plus mauvaises souvent pour le citadin que pour le villageois.

Cette classe de mechtchanes et les groupes voisins d’artisans forment la grande majorité de la population des villes. C’est peut-être la portion la moins fortunée du peuple russe. Le paysan, le moujik, a, de par la loi d’émancipation, sa maison, son enclos à lui : il a de plus sa

  1. D’après certaines statistiques, les paysans formeraient en moyenne plus de 20 pour 100 de la population urbaine.