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au milieu des intrigues, des crimes et des débauches, par les mains de ses adversaires presque autant que par celles de ses partisans. La capitale reportée à Moscou revient à Pétersbourg : les étrangers, tour à tour chassés et rappelés, s’asseoient sur le trône avec Pierre III, avec Catherine II. Au milieu de leurs contradictions, les successeurs de Pierre achèvent son œuvre, tantôt la corrigeant, tantôt l’exagérant, et toujours de gré ou de force la continuant.

Pour être accomplie par de telles mains, il fallait que la réforme du vainqueur de Charles XII fût bien dans la vocation de la Russie. Quels singuliers guides vers la civilisation et quels initiateurs humiliants pour un grand peuple ! C’est d’abord une paysanne livonienne, ne sachant ni lire ni écrire, assistée d’un ancien garçon pâtissier, devenu prince et régent. C’est un enfant de douze ans, mort à quatorze, auquel succède une femme vulgaire, gouvernée par le fils d’un palefrenier courlandais qui, pendant dix ans, livre l’empire à la tyrannie d’Allemands, dédaigneux du Russe comme d’une race inférieure, illustrant la Russie par leurs armes, l’opprimant et l’exploitant comme les Espagnols ou les Hollandais exploitaient les deux Indes. Au sortir de cette domination étrangère, demeurée dans la mémoire populaire aussi odieuse que celle des Tatars, vient de nouveau un enfant, cette fois au berceau, puis de nouveau une femme ignorante et sensuelle, qui n’a d’autre politique que les caprices de ses passions ou les dépits de sa vanité. Quand avec Pierre III la couronne arrive à un tsar, c’est un extravagant qu’il faut déposer. Le pays de l’autocratie doit attendre un demi-siècle pour avoir un souverain en état de régner, et ce souverain, c’est une femme, une Allemande, disciple des philosophes français.

À l’intérieur, de même qu’à l’extérieur, Catherine II est le vrai successeur de Pierre Ier. Comme lui, sans scrupule et sans moralité, étrangère à toute vertu et douée des plus hautes facultés de l’homme d’État, Catherine avait sur