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siques, il convient de comparer la Russie. Avec son climat excessif et ses immenses espaces, elle était de ces terres trop âpres, de ces régions construites sur un plan trop large pour être le berceau de la civilisation. Impropre à en nourrir les premiers jours, elle est de ces pays admirablement disposés pour la recevoir. Comme l’Amérique du Nord, comme l’Australie, la Russie, en dehors de ses parties extrêmes, offre à l’Europe un sol assimilable, un champ où l’activité humaine peut se déployer sur une échelle plus vaste.

Avec son ciel inclément, avec ses maigres forêts et ses steppes déboisées, avec son manque de pierre et de matériaux de construction, la Russie peut sembler une chétive demeure pour la culture européenne ; mais ce qu’il faut à l’homme, c’est moins la richesse spontanée du sol que la facilité de s’en rendre maître, de le plier à ses besoins et pour ainsi dire de le domestiquer. Bien des contrées plus belles dans les deux hémisphères offrent à la civilisation un champ moins sûr. Il y a, dans le Nouveau Monde, un État auquel les forêts et les savanes de l’Amérique du Sud ouvrent une carrière presque aussi ample, aussi illimitée que celle de la Russie. Le soleil des tropiques, ses fleuves, les plus grands du globe, l’humidité que lui apportent les vents alizés y donnent à la végétation et à la vie, sous toutes ses formes, une incomparable vigueur. La flore et la faune y ont une variété et une puissance admirables ; mais cette fécondité même de la nature est hostile à l’homme, qui ne sait comment en triompher. Herbes et forêts, animaux féroces et insectes lui disputent également le sol du Brésil. La nature y est trop riche, trop indépendante, pour se laisser aisément réduire au rôle de servante, et alors même qu’ainsi que dans l’Inde, l’homme, se sera emparé matériellement du sol, il courra le risque de rester encore moralement sous le joug, énervé par le climat, esclave d’impressions d’une nature qui le rapetisse.

Tout autre est la Russie : si les forêts n’y couvrent guère