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finir par celui de l’Allemand et du Français. Toujours dans une sorte de vasselage intellectuel, copiant les usages, les idées, les modes de l’étranger, elle est demeurée presque également impuissante à acclimater chez elle les institutions d’autrui et à s’en donner de nationales.

Au dix-septième siècle, la Russie n’avait encore qu’un organisme rudimentaire, embryonnaire ; en dehors de l’Église, elle ne possédait que deux institutions, l’une à la base de l’État, l’autre au sommet, et toutes deux peu favorables au développement de l’individualité : la commune solidaire et l’autocratie, avec le servage pour lien. L’oppression tatare et la lutte contre la Pologne avaient absorbé toutes ses forces. À ceux qui lui demandaient ce qu’il avait fait pendant la Terreur, l’abbé Sieyès répondait : « J’ai vécu. » À semblable question sur son inertie séculaire, la Russie eût pu faire même réponse. Pour n’être pas écrasée par les Mongols, il lui avait fallu longtemps faire la morte. Tout le travail de la Moscovie avait été de se constituer matériellement en corps de nation. Comme un enfant d’un tempérament robuste, elle sortait fortifiée et endurcie d’épreuves qui la devaient tuer ; mais les assauts, qui lui avaient donné la vigueur physique, avaient entravé son développement intellectuel. Vis-à-vis des autres peuples de l’Europe, elle n’avait eu qu’une éducation rustique, grossière : les maîtres et le temps même de la culture de l’esprit lui avaient manqué.