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Volga venaient, par ordre de Vassili, occuper aux bords du lac Peipous la place des Pskovites déportés. Des procédés semblables, renouvelés de Ninive ou de Babylone, avaient été employés avec Novgorod ; c’est ainsi que les tsars unifiaient et nivelaient leur empire. De tels exemples font comprendre l’autocratie russe de Pierre le Grand à Nicolas.

Cette autocratie, cette concentration de tous les pouvoirs et de toute la vie nationale en une seule main, était-elle tout entière sortie de l’histoire, sortie de l’oppression tatare ou des leçons byzantines ? Nullement, les écrivains russes sont en droit de le nier. C’est dans la nature et le sol même, dans les conditions physiques et économiques de la Russie, dans l’étendue et la pauvreté des maigres régions forestières où grandit l’État moscovite, c’est dans la disproportion entre l’immensité du territoire et la rareté de la population que, de Rurik à Pierre le Grand, il faut chercher les premières raisons de la forme du gouvernement russe, la cause première de la lenteur du développement politique et civil du pays. C’est par là que s’explique, pour la Russie, la durée de la période de formation, et, pour ainsi dire, de la vie historique embryonnaire ; par là que s’explique ce qu’un de ses historiens appelle, chez elle, la prolongation de la période d’état liquide[1]. Quoi de plus difficile, en effet, que d’asseoir quelque chose de solide, quelque chose de stable et de durable sur ces plaines sans limites où déferlait librement le flot des invasions, où la population semblait toujours sur le point de s’écouler et de se perdre, comme les ruisseaux dans le désert, si bien que, pour la retenir et la fixer au sol, il fallut recourir au servage ?

Dans un pareil pays, plus étaient frêles les liens entre l’homme et la terre, les liens entre les diverses régions et les diverses tribus, plus devait être fort le pouvoir capable de créer et de faire vivre l’État. C’est ainsi que Solovief a pu dire que l’énergie excessive, que la tension démesurée de

  1. Solovief, Sbornik Gosoudarsivennykh Znanii, 1879.