Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment national dirigé par le prince Pojarski. Les Polonais repoussés, une nouvelle famille, celle des Romanof, est appelée au trône par le zemskii sobor, sorte d’états généraux. Chez ce peuple qui venait de se sauver lui-même, la vacance du trône n’avait éveillé ni le sens ni le goût de la liberté. Selon le mot du slavophile Khomiakof, le peuple, ayant rétabli l’ordre et refait un tsar, donne sa démission de la politique. La nouvelle maison tsarienne aura le même pouvoir que l’ancienne ; elle lui redonne seulement un caractère plus religieux, plus paternel. En vain l’exemple de la noblesse polonaise ou de l’aristocratie suédoise excite l’émulation des boïars ; en dépit de quelques formules[1], en dépit du zemskii sobor, l’autocratie reste la loi de la Russie. La servitude du paysan, définitivement lié à la glèbe par l’usurpateur Boris Godounof, est le seul privilège des nobles : ni minorités, ni interrègnes, ni invasions n’ont pu donner à aucune classe de la nation de droits ou de libertés vis-à-vis du souverain.

À un Russe qui lui disait que l’autocratie avait relevé la Russie abattue par les Tatars, un étranger répondait qu’elle l’avait relevée à genoux. Les formules habituelles des Moscovites, vis-à-vis de leurs souverains, laissent bien loin derrière elles tout ce qu’inventa jamais la servilité des cours de l’Occident. Dans les pétitions ou les déclarations publiques, grands et petits s’intitulaient les serfs, les esclaves ou kholopy du tsar. Catherine II fut la première à montrer quelque répugnance pour ces abjectes qualifications ; elles étaient si bien dans les habitudes nationales qu’elles sont souvent employées comme synonymes de sujets. Dans ses fameuses lettres au prince Kourbsky, Ivan IV appelle le roi de Pologne un esclave d’esclaves, voulant dire qu’il était le sujet de ses sujets. Pierre le Grand lui-même, en rendant compte du siège d’Azof à Romodanovski, auquel il s’amusait à faire

  1. On connait la célèbre formule : « Les boïars ont délibéré, le tsar a ordonné. »