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CHAPITRE III


La domination tatare, ses effets sur les mœurs et le caractère national. — Sur la souveraineté et l’état politique. — Causes et caractères de l’autocratie moscovite. — En quoi la Russie du dix-septième siècle différait-elle de l’Occident. — Lacunes de l’histoire russe.


L’invasion des Mongols coupa, au commencement du treizième siècle, le fil des destinées de la Russie. Les conséquences de ce terrible événement lui furent particulières, les causes ne l’étaient point. Cette catastrophe, en apparence isolée, ne fut qu’un incident de la grande lutte de l’Europe et de l’Asie, dont les croisades formèrent le principal épisode. Dans ce choc entre deux mondes, la même cause était en jeu des steppes russes aux sierras espagnoles. Vis-à-vis de l’immense armée convergente qui, de l’Asie et de l’Afrique, formait comme un gigantesque croissant prêt à envelopper l’Europe par ses extrémités, la Russie défendait l’aile gauche de la chrétienté, comme l’Espagne l’aile droite, pendant que, par une offensive hardie, la France et l’Angleterre, l’Italie et l’Allemagne, assaillaient dans les croisades le centre de l’ennemi. La Russie avait dans ses déserts du sud, en face des Petchénègues, des Polovtsy et autres nomades de race turque, soutenu cette lulle contre l’Asie longtemps avant la grande invasion du treizième siècle. Placée au poste le plus périlleux, dans le voisinage du plus vaste réservoir de barbares, abandonnée de l’Europe dont elle couvrait la frontière, elle devait succomber. Les princes russes, réunis contre les armées de Ginghiz-Khan, avaient vaillamment soutenu le premier