Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enceintes servant de lieux de refuge, des goroditché, grad ou gorod, comme Kief ou Novgorod (la nouvelle ville), dont le nom même en fait supposer d’antérieures. Les différentes tribus vivaient en clans isolés qui semblent avoir eu peu de consistance ; pour les coordonner en État et en nation, il fallut un alliage étranger. Comparés aux Germains, les Slaves russes paraissent avoir eu un goût plus vif pour l’association et la communauté, un esprit moins hiérarchique et plus pacifique, un penchant plus prononcé ou plus persistant pour la vie patriarcale, ou mieux pour la vie familiale ; le rod, la famille, au sens de la gens latine, semble le fondement de toute leur organisation sociale. Ces tendances, pour nous trop peu distinctes, contenaient peut-être le premier germe des institutions de la Russie.

L’élément germanique, qui dans toute l’Europe a joué un rôle, aujourd’hui parfois trop contesté, n’a point entièrement fait défaut à la Russie. Selon toute probabilité, c’est par des aventuriers normands, semblables aux wikings qui, vers la même époque, ravageaient l’Occident, et y fondaient diverses dynasties, que furent jetées, au ixe siècle, les bases de l’État d’où est sorti l’empire russe. Le chroniqueur de Kief, Nestor, nous montre Rurik et ses frères appelés à la souveraineté par les Slaves de Novgorod, las de leurs dissensions intestines[1]. Déjà, dans la chronique du onzième siècle, l’amour-propre national avait peut-être dissimulé une conquête ou une invasion normande sous le voile d’un appel volontaire des Slaves de Novgorod. De nos jours, une critique, partout jalouse d’innover, et un patriotisme rétroactif ont fait disputer aux Scandinaves Rurik et ses compagnons, les Variagues ou Varègues. Aux

  1. Sur ce légendaire appel de Rurik, les slavophiles avaient naguère édifié tout un système historique qui mettait l’État russe, fondé sur la soumission volontaire du peuple, en opposition avec les États occidentaux, tous fondés sur la conquête. Cette thèse, abandonnée dans l’histoire, se retrouve encore aujourd’hui dans les théories économiques ou politiques de maint écrivain russe.