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slavophîllsme ont puisé leur méthode, leur dialectique et indirectement leurs doctrines.

Cette revendication de l’esprit russe, cette rébellion nationale contre la servitude étrangère, a été elle-même à son origine, un emprunt ou une imitation, une adaptation du dehors. On était entre 1830 et 1848, à une époque de spéculations théoriques et d’hypothèses de tous genres, où partout, en Allemagne surtout, éclosaient de toutes pièces des systèmes philosophiques, historiques, politiques. C’est de la métaphysique allemande, de la logique et de la philosophie de l’histoire de Hegel, que les slavophiles de Moscou ont pris les premiers éléments de leurs idées, la forme ou le moule de leurs doctrines. À la Russie et aux Slaves ils appliquèrent les procédés de Hegel, revendiquant, pour leur race et leur patrie, le rôle prédominant attribué, dans l’histoire de l’humanité, aux races teutoniques par le philosophe de Berlin. Sorti tout entier de l’esprit spéculatif, le slavophilisme ne fut à l’origine qu’une combinaison des abstractions de la métaphysique allemande et du romantisme littéraire, avec les rêves d’un mysticisme religieux qui représentait la part de l’élément national. L’originalité et la supériorité virtuelle de la civilisation russe ou grécoslave sur la civilisation occidentale furent proclamées à priori, déductivement. Ce n’est qu’après coup, pour accommoder les faits à la théorie, que ces philosophes de l’idée nationale se retournèrent vers l’histoire et vers le peuple.

Quittant la métaphysique, les slavophiles se mirent à chercher dans la religion et dans le caractère du peuple, dans le régime de la propriété et dans la constitution du pouvoir, les principes sur lesquels repose la vie russe. En quête de tous les traits originaux de la civilisation nationale, ils condamnèrent solennellement la sujétion morale de la période pétersbourgeoise ; ils déclarèrent le joug intellectuel de l’étranger d’autant plus intolérable que l’Europe, dont la Russie se faisait l’élève, était en pleine décadence.