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femmes[1]. Fort différent du nihilisme, bien que dans ses écarts il s’y soit parfois trop associé pour n’en avoir pas été compromis, ce curieux mouvement d’opinion a en partie son principe dans le même côté du caractère russe, dans le mépris des préjugés, dans le goût pour les thèses hardies et les réformes sociales. Au commencement du dernier siècle, la femme russe était, comme la femme turque de nos jours, encore enfermée et voilée ; aujourd’hui elle a, comme l’homme, plus que l’homme peut-être, ses aspirations de liberté et d’affranchissement. À travers toutes les exagérations qui les déconsidèrent, ces prétentions féminines sont moins surprenantes et moins ridicules qu’ailleurs. Le sexe, émancipé par la rude main de Pierre le Grand, est peut-être celui qui a le plus profité d’une civilisation qui, en lui donnant la liberté, flattait singulièrement ses goûts naturels. Si dans l’empire, tant de fois et si glorieusement gouverné par des femmes, la femme du peuple est encore maintenue dans une sorte de servitude, il en est tout autrement chez les classes plus cultivées. Pour l’intelligence et la volonté, comme pour l’instruction et le rang dans la famille, la femme russe est déjà l’égale de l’homme ; elle semble même parfois supérieure à l’homme, par suite peut-être de cette égalité qui, en grandissant un sexe, paraît rapetisser l’autre.

Cette remarque sur la femme russe se pourrait étendre à la femme slave en général : car la société polonaise, par exemple, prêterait à des observations analogues. Dans cette race, on dirait par moments que, entre les deux sexes, les différences psychologiques sont moins accusées, l’intervalle moral ou intellectuel moins tranché. Entre l’homme et la femme slaves, il n’est pas rare de trouver une sorte d’échange et comme d’interversion de qualités ou de fa-

  1. Les Russes n’aiment pas à cet égard se servir du mot d’émancipaUon ; ils se plaisent à dire que chez eux la femme est émancipée, cela parce que la loi lui laisse dans le mariage l’administration de sa fortune. Aussi dit-on d’ordinaire, en Russie, la question des femmes : jenskii vopros »