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soudainement appelées au secours de la société, avaient été longtemps tenues en suspicion. Sous l’empereur Nicolas, les classiques grecs et latins avaient été dénoncés comme des fauteurs de l’esprit de révolte. Démosthéne et Cicéron, tous les républicains de Rome et d’Athènes passaient pour inspirer des sentiments révolutionnaires. Peut-être, en effet, étaient-ce de mauvais précepteurs pour des enfants destinés à vivre sous le régime autocratique. Si les anciens n’avaient pas été proscrits, l’enseignement littéraire avait été abaissé et mutilé. Dans les écoles tolérées par Nicolas, on avait donné le pas aux sciences, principalement aux sciences naturelles ; c’était incliner l’esprit russe du côté où il penchait spontanément.

Par un de ces brusques revirements, toujours si fréquents en Russie et facilités par la nature du gouvernement, on revint tout à coup, sous l’empereur Alexandre II, à l’antiquité et aux classiques. On croyait avoir découvert que l’étude exclusive des sciences physiques et naturelles conduisait au positivisme. Pour contrebalancer leur influence réaliste, on s’adressa aux littératures anciennes, traitées la veille avec défiance. Après avoir été deux complices de la révolution, le grec et le latin devinrent pour le pouvoir deux garanties de l’ordre moral. Cette restauration des études classiques, dans un pays qui prétendait n’avoir que faire des Grecs et des Romains, heurtait de front le penchant national qu’elle voulait redresser. Aussi a-t-elle été violemment combattue par tous les instincts pratiques et positifs du Grand-Russe, d’autant plus révolté d’un pareil traitement que les maladresses et les duretés de la main, qui le lui appliquait, le lui rendaient plus pénible ou plus agaçant. Malgré les efforts du comte Tolstoï, durant une administration de quinze ans[1], les lettres an-

  1. Le comte Tolstoï, deyenu le ministre le plus impopulaire, dut quitter l’instruction publique en 1880. Appelé à l’intérieur en 1883, il est mort en 1889. — Sons Alexandre III, nouveau revirement : après avoir tout fait pour attirer aux universités et aux gymnases classiques, on a édicté, en 1887, des règlements pour en écarter les jeunes gens sans fortune ou sans famille.