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semblent confondus et combinés pour se corriger l’un l’autre. Pierre a montré que la flexibilité russe pouvait ne rien coûter à l’énergie, et que la ductilité slave se pouvait allier à la solidité.

Que si l’on s’étonne de trouver, chez un seul peuple, tant de traits de caractère différents ou opposés, on peut, en Pierre le Grand, les voir réunis et concentrés dans un seul homme. Cette convergence en un individu de tant de qualités et de défauts, de tant de traits dispersés dans une nation, a formé un homme bizarre et presque monstrueux, mais en même temps un des hommes les plus vigoureux et les plus entreprenants, un des mieux doués pour la vie et l’action que le monde ait vus. Peu de peuples ont l’avantage d’avoir ainsi un grand homme dans lequel ils se puissent personnifier, qui, dans ses vices mêmes, semble une colossale incarnation de leur génie. Pierre, l’élève et l’imitateur des étrangers, Pierre, qui semblait s’être donné pour mission de faire violence à la nature de son peuple, et qui, par les vieux Moscovites, fut regardé comme une sorte d’antechrist, est le Russe, le Grand-Russe par excellence. Devant lui, on peut dire que le souverain et la nation s’expliquent l’un par l’autre. Un peuple qui ressemble à un tel homme est sûr d’un grand avenir. S’il paraît manquer de quelques-unes dés plus hautes ou des plus fines qualités dont s’honore l’humanité, il a celles qui donnent la puissance et la grandeur politiques[1].



  1. Pour la personnalité, l’énergie, l’esprit de suite, trop souvent refusés aux Russes, je pourrais, parmi les contemporains, citer comme exemple trois hommes bien différents : N. Milutine, G. Samarine et le prince V. Tcherkassky : Voyez Un Homme d’État russe, d’après sa correspondance inédite.