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ment de 25 à 30 degrés de latitude. L’influence de pareils changements n’est pas moindre sur le caractère que sur le tempérament, sur l’imagination que sur l’esprit. En Russie, chaque saison a ses travaux, ses fêtes et ses plaisirs ; chacune a ses chants et même parfois ses danses. Elles tiennent une si grande place, dans la vie et la poésie populaires, qu’elles pourraient servir de cadre à la classification de beaucoup des pesny, chantées par le paysan. Pour décrire la Russie, c’est peu de décrire le sol, c’est par-dessus tout les saisons qu’il faut peindre. Rien dans notre climat, où l’opposition de l’hiver et de l’été est déjà si marquée, ne donne une juste idée de leur contraste au bord du Volga ou de la Néva : qui n’a vu la Russie que sous l’un des deux aspects ne la connaît point.

Des saisons russes, l’hiver est la plus longue et la plus originale ; dans sa monotonie même, elle est peut-être aussi la plus pittoresque et la plus belle. Elle couvre cette terne nature de la plus éclatante robe de fiancée ; la neige est la plus brillante des parures, et à sa froide blancheur, tour à tour mate et étincelante, la gelée et les glaces ajoutent leurs nacres irisées. Tout disparaît sous la neige, — la terre, la mer et les rivières, les routes et les champs ; mais, dans celle uniformité sans limite, la nature prend une grandeur que ne pouvait lui donner la maigre variété du printemps ou de l’été. Sous cet épais manteau, il ne reste de sensible à l’œil que les creux et les reliefs, les dépressions et les aspérités du sol ; mais ce fond monochrome reçoit du soleil l’éclat le plus éblouissant, de la lune et des nuits les teintes les plus tendres et les plus délicates. Au grand soleil des belles journées d’hiver, l’œil a peine à supporter la splendeur égale et continue de cette campagne ; aussi dans le Nord, où la neige reste cinq ou six mois de suite sur la terre, y a-t-il presque autant de maladies d’yeux, autant d’aveugles que dans les pays du Midi.

C’est dans les forêts surtout qu’il faut chercher les beau-