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de chaleur pour le sang et les membres, il faut faire provision d’air pour les poumons. Ainsi l’on va, pendant plusieurs mois, traversant sans cesse, de la maison à la rue, des intervalles de 40 à 65 degrés centigrades, comme si l’on passait, plusieurs fois dans la même journée, de l’été du Midi à l’hiver du Nord, des bords de la mer Rouge aux bords de la mer Blanche.

Le climat n’est guère plus favorable à la propreté qu’à la santé. Les maisons, dont l’hiver clôt hermétiquement toutes les ouvertures, sont difficiles à tenir propres. Les poêles, seuls employés pour le chauffage, ne peuvent purifier l’air des chambres dans lesquelles ils ne s’ouvrent pas. Les familles riches ou aisées remédient à ce défaut par la grandeur des appartements, qu’on laisse librement communiquer ensemble, et où l’on brûle fréquemment des parfums. Le paysan est condamné à vivre dans une atmosphère étouffante et pleine de miasmes. L’air chaud et infect de ses cabanes fait éclore des myriades d’insectes ; les parasites de toute sorte y pullulent. Au dehors, les ordures jetées autour de la maison disparaissent dans les neiges pour retrouver leur fétidité au printemps. Dans les villes même, les immondices ne peuvent pas toujours s’écouler par les égouts que ferme la glace ; rendues inoffensives par la gelée, elles se conservent longtemps, et aux premiers jours de chaleur, remplissent les rues d’exhalaisons malsaines. Rien n’égale la puanteur du dégel russe dans les villes. La neige, qui, sous les traîneaux, ressemblait à du sable ou à du verre pilé, se transforme en une boue épaisse, nauséabonde, dont les pieds rapportent les émanations dans les maisons. Avec de telles conditions sanitaires, comment s’étonner de voir le peuple en proie à toutes les épidémies, et la peste elle-même faire encore des apparitions dans la Russie d’Europe[1].

  1. Le contact de l’Asie est à cet égard un autre danger ; aussi les annales russes signalent-elles des pestes fréquentes. Celle du gouvernement d’Astrakan, en 1879 ; apportée vraisemblablement de l’Asie turque à la suite de la