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trouve moins d’écho dans les cœurs polonais. La politique de conciliation de Wiélopolski, politique qui, pour le malheur des deux peuples, comptait si peu de partisans vers 1860, rallierait aujourd’hui une immense majorité[1].

Le mal est que dans les oukraïnes russes, comme en Autriche, comme en Turquie, ces questions de nationalité sont loin d’être aussi simples qu’elles le paraissent en théorie. Avec la meilleure volonté du monde, il est souvent impossible de les résoudre au gré de tous les intéressés. En dehors des régions à nationalité tranchée, à traditions historiques constantes, il y a en effet des contrées mixtes, habitées par des populations différentes, souvent en hostilité entre elles. Les provinces baltiques en sont un exemple ; mais ce n’est pas le seul dans l’empire. La plus grande partie de l’ancienne Pologne, les provinces annexées à la Russie lors des trois premiers partages sont plus ou moins dans le même cas. C’est une des choses qui ont facilité le démembrement de la république et rendu malaisée toute réconciliation entre les anciens et les nouveaux maîtres du pays.

Le grand obstacle à l’accord des Russes et des Polonais a été l’Ukraine de la rive droite du Dnieper et surtout la Lithuanie, regardées par les premiers comme russes, par les derniers comme polonaises, les uns envisageant de préférence les classes riches et cultivées, les propriétaires, ou la bourgeoisie ; les autres, les classes rurales, le paysan, le serf émancipé par Alexandre II[2].

Dans la majeure partie de l’ancienne Pologne, en dehors du royaume du congrès, de même que dans les trois pro-

  1. D’après les statistiques russes, le nombre des Polonais de l’empire atteint à peine 6 millions d’âmes. En grande majorité dans le « royaume du congrès de Vienne », où ils forment environ 70 pour 100 de la population totale, ils sont en faible minorité dans les autres parties de l’ancienne Pologne. À ces Polonais d’origine, il faut, pour calculer la force effective du « Polonisme », ajouter un certain nombre de Lithuaniens, de Petits-Russes ou de Blancs-Russes et même d’Allemands et de Juifs plus ou moins polonisés.
  2. Voy. le chap. précédent p. 114 note 1.