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tine ne parlerait sans doute plus ainsi aujourd’hui. Les patriotes les plus clairvoyants reconnaissent que la Russie ne saurait résoudre cette vivace question polonaise à la fois contre les Polonais et contre les Allemands, pas plus que les Polonais ne sauraient se flatter de la voir trancher en même temps contre les Allemands et contre les Russes. Le Russe qui prétend poursuivre la dénationalisation des provinces de la Vistule, de même que le Polonais qui se refuse à tout accord avec la Russie, s’exposent également à travailler pour les Prussiens qui n’ont pas oublié que la Prusse, avant la Russie, a régné à Varsovie.

Il y a bien des Russes qui, pour mettre fin à cette éternelle question polonaise, abandonneraient volontiers à l’Allemagne toute la Pologne proprement dite[1] ou au moins la moitié du royaume à l’ouest de la Vistule, sauf à chercher une conpensation du côté de l’Autriche ou de la Turquie. Une telle combinaison serait sans doute le finis Poloniæ ; mais, si naguère encore elle était souvent préconisée, elle compterait aujourd’hui peu de partisans.

Outre une naturelle répugnance à sacrifier au germanisme une vieille terre slave, outre la difficulté de tracer une frontière aux portes de Varsovie ou d’abandonner cette capitale à la Prusse, les Russes comprennent qu’en laissant les Allemands s’établir au cœur de la Pologne, ils leur donneraient fatalement la tentation de l’absorber peu à peu tout entière. Varsovie ne serait pour les Prussiens qu’une étape ; une fois installés sur la Vistule, ils pourraient étendre leurs convoitises au reste du royaume et jusqu’à la Lithuanie, la Courlande, la Livonie ; ils pourraient, seuls ou

  1. Le royaume de Pologne ou Pologne du congrès a, on le sait, été formé des parties de l’ancien grand-duché de Varsovie, attribuées au tsar Alexandre Ier, en 1815, et dotées par ce prince d’une constitution. Aux yeux des Russes, ce royaume du congrès constitue seul toute la Pologne russe ; ils s’appuient sur l’histoire et sur l’ethnographie pour refuser le nom de Polonaises aux provinces annexées par Catherine II, lors des trois partages du dix-huitième siècle.