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rencontre une nationalité compacte, difficile à entamer, n’offrant aucune prise à l’assimilation germanique. Il n’en est pas de même vers l’est, où l’Allemagne, avec la Prusse, s’est agrandie de siècle en siècle. Or, les Russes n’ont pas envie de voir leur voisin d’Occident continuer à leurs dépens sur la Vislule, le Niémen ou la Duna, ses empiètements séculaires sur le territoire des Slaves ou des Letto-Lithuaniens.

Il n’y a pas dans l’empire russe, de provinces allemandes. Cette expression souvent employée chez les Allemands, et même chez nous, pour désigner les trois provinces baltiques est absolument inexacte, et l’on comprend que les Russes ne veuillent pas, à cet égard, laisser subsister d’équivoques. Les statistiques ont depuis longtemps prouvé que, dans ces provinces prétendues germaniques de Livonie, Esthonie, Courlande, les Allemands ne forment pas, en réalité, le dixième de la population composée, pour l’immense majorité, de Lettes au sud et de Finnois au nord. Le moderne principe de nationalité, lequel, en dehors de la conscience nationale, ne fournit du reste qu’un nouvel instrument d’oppression, ne saurait, de ce côté, offrir aucun prétexte aux revendications des Allemands. Mais dans un pays, ni le nombre, ni la race, ni la langue ne sont tout. Les Allemands ont beau être en infime minorité sur la basse Duna, ils y ont trop longtemps régné par les armes, par le commerce, par la religion, par tout ce qui constitue la civilisation, pour n’y avoir pas mis leur empreinte.

La marque de la Hanse reste partout visible dans les villes et la trace de l’Allemagne féodale dans les campagnes, possédées par les héritiers des Porte-Glaives. À prendre les mœurs, l’histoire, les traditions, le pays baltique est bien plus allemand que ne l’était l’Alsace-Lorraine en 1870. On a même pu dire sans paradoxe que ces provinces russes, peuplées de Lettes et de Finnois, étaient restées les pays les plus germaniques du continent, tant l’Allemagne du moyen âge y avait survécu.