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a descendu le cours, de la source à l’embouchure : le Volga lui a pour ainsi dire tracé son itinéraire ; comme le Volga, il a coulé de l’Europe à l’Asie. Quand, avec Ivan III et Ivan IV, quand, plus tard, avec Pierre le Grand, il fit un retour offensif vers la Baltique et l’Occident, il ne faisait que remonter à sa source, que chercher à retrouver sa base européenne. Toute son histoire a été une lutte contre l’Asie, ses conquêtes, un agrandissement de l’Europe. Longtemps vassal des khans tatars, la domination asiatique ne lui a jamais fait oublier son origine européenne, et jusqu’au fond de la Moscovie, le seul nom d’Asiatique, d’Asiate, est pour le paysan demeuré une injure.

Vainqueur de l’Asie, le Russe de la Grande-Russie n’a pas traversé l’intervalle de six siècles, et tout l’espace du Dniépr à l’Oural, sans prendre sur sa route, au moral comme au physique, plus d’un trait des populations assimilées ou assujetties. Le corps et l’esprit ont plus de pesanteur que chez les Slaves moins mêlés, la beauté aryenne est plus rare. De son croisement avec les Finnois, le Grand-Russien a souvent retenu une face plate, des yeux petits, des pommettes proéminentes. De cette influence finnoise ou de l’oppression tatare, il a gardé quelque chose de plus âpre, mais aussi de plus robuste, que les autres Slaves. Il a moins d’indépendance, de fierté, d’individualité ; il a plus de patience, d’unité de vues et d’esprit de suite. Selon la remarque de Herzen, si le sang slave s’est alourdi chez lui, le Grand-Russien, dans son mélange avec des races plus pesantes, a perdu de la mobilité qui a été si fatale à d’autres tribus slavonnes. L’extrême ductilité slave a été corrigée par l’alliage étranger ; dans sa fusion avec le cuivre tatar ou le plomb finnois, le métal russe a plus gagné en solidité qu’il n’a perdu en pureté. C’esl peut-être à ce croisement que le Grand-Russien doit de l’avoir emporté sur tous ses rivaux, et d’être devenu le noyau du plus grand empire du monde. Au lieu d’une anomalie, le triomphe de ces tribus de sang mêlé sur des concurrents moins mésalliés