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étroit et frais vallon, autour des verts jardins et des fontaines de marbre du palais des Ghireï, vit une population musulmane plus purement orientale que celle des villes de la Turquie d’Europe ou des échelles de l’Asie Mineure. Là règne dans toute sa rigueur la loi mahométane, et rien, si ce n’est la solitude des salles du palais, encore tendues et meublées comme à l’époque du dernier des khans, ne rappelle la chute de la puissance tatare.

Les Turcs de Bakhtchi-Saraï et de Karasou-Bazar sont marchands et agriculteurs. Il en est de même de ceux du Volga ; habitants d’un pays à sol fertile, ils ont quitté la vie nomade et sont artisans ou marchands dans les villes, laboureurs dans les campagnes. À Kazan, l’ancienne capitale du plus puissant des trois khanats sortis du démembrement de la Horde-d’Or, les Tatars habitent une slobode, un faubourg situé au pied de leur ancienne ville et relégué loin du Kremlin, que leur ont enlevé les tsars orthodoxes. Leur ville a l’air propre, tranquille et prospère. Ils y ont leurs mosquées et leurs écoles[1] avec leurs mollahs élus par la communauté, qui, selon la coutume musulmane, leur servent d’arbitres ou de juges.

À Kazan ainsi qu’en Crimée, les Tatars ont gardé la spécialité de certaines industries orientales, comme la confection d’objets en cuir et en maroquin : bottes, babouches, selles, étuis, fourreaux. Ils ont souvent conservé la force musculaire qu’un proverbe attribue aux Turcs, ce sont des Tatars qui servent de portefaix à la foire de Nijni. Le haut commerce ne leur est pas fermé, et à Kazan plus d’un de leurs négociants est arrivé à une fortune considérable. Bien qu’au moral, comme au physique, il y ait entre

  1. Dans ces écoles, comme dans toutes les écoles musulmanes, le fond de renseignement est l’arabe du Koran, dont le texte est souvent récité sans être compris. Celle barbare méthode est un grand obstacle au développement des Tatars. Aussi le gouvernement fait-il de louables efforts pour introduire chez eux l’enseignement en tatar en attendant qu’il puisse leur être donné en russe.