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aujourd’hui, qu’elle n’avait l’idée de la propriété foncière qui en est la base ; elle ne se figurait rien de semblable à ce que nous appelons la nation ; c’est une chose toute moderne ; mais elle se figurait l’héritage des rois et le domaine de la Maison de France. Et c’est bien là tout de même, dans ce domaine et dans cet héritage, que les Français se réunirent avant de se réunir dans la patrie.

  Sous des influences qu’il nous est impossible d’indiquer précisément, la pensée lui vint de rétablir le dauphin dans son héritage, et cette pensée lui parut si grande et si belle, que, dans la simplicité de son naïf et candide orgueil, elle crut que c’était des anges et des saintes du Paradis qui la lui avaient apportée. Pour cette pensée elle donna sa vie. C’est par là qu’elle survit à sa cause. Les plus hautes entreprises périssent dans leur défaite et, plus sûrement encore, dans leur victoire. Le dévouement qui les inspira demeure en immortel exemple. Et, si l’illusion qui enveloppait ses sens la soutint, l’aida à s’offrir tout entière, cette illusion ne fut-elle pas à son insu l’ouvrage de son cœur ? Sa folie fut plus sage que la sagesse, car ce fut la folie du martyre, sans laquelle les hommes n’ont encore rien fondé de grand et d’utile dans le monde. Cités, empires, républiques, reposent sur le sacrifice. Ce n’est donc ni sans raison ni sans justice