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trop gothique aux émigrés eux-mêmes : Chateaubriand, n’osa pas l’introduire dans son Génie du Christianisme[1].

  Mais le premier Consul, qui venait de conclure le Concordat et songeait à restaurer les ornements du sacre, fit rétablir, en l’an XI, les fêtes de la Pucelle et y rappela l’encens et les croix. Célébrée jadis dans les lettres de Charles VII à ses bonnes villes, Jeanne fut exaltée dans le Moniteur par Bonaparte[2].

  Les figures de la poésie et de l’histoire ne vivent dans la pensée des peuples qu’à la condition de se transformer sans cesse. La foule humaine ne saurait s’intéresser à un personnage des vieux âges si elle ne lui prêtait pas ses propres sentiments et ses propres passions. Après avoir été associée à la monarchie de droit divin, la mémoire de Jeanne d’Arc fut rattachée à l’unité nationale que cette monarchie avait préparée ; elle devint, dans la France impériale et républicaine, le symbole de la patrie. Certes, la fille d’Isabelle Romée n’avait pas plus l’idée de la patrie telle qu’on la conçoit

  1. « Il n’y avait dans les temps modernes que deux beaux sujets de poëme épique les Croisades et la Découverte du Nouveau Monde » (éd. de 1802, Paris, t. II, p. 7). °
  2. « L’illustre Jeanne d’Arc a prouvé qu’il n’est pas de miracle que le génie français ne puisse produire dans les circonstances où l’indépendance nationale est menacée » (Moniteur du 10 pluviôse, an XI — 30 janvier 1803). — Pour l’approbation du premier Consul : Fac-similé dans A. Sarrazin, Jeanne d’Arc et la Normandie, p. 600 [Original tiré de la collection de Reiset].