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puis-je, sans sortir de ma compétence, présenter, relativement aux hallucinations de Jeanne d’Arc, une observation qui m’a été suggérée par l’étude des textes. Cette observation est d’une conséquence infinie; je la contiendrai rigoureusement dans les limites que me tracent la nature et l’objet de cet ouvrage.

  Les visionnaires qui se croient investis d’une mission divine se distinguent des autres illuminés par des caractères singuliers. Si l’on étudie les mystiques de ce genre, si on les rapproche les uns des autres, on s’apercevra qu’ils présentent entre eux des traits de ressemblance qu’on peut suivre jusque dans des détails très menus, qu’ils se répètent tous dans certaines de leurs paroles et dans certains de leurs actes, et peut-être, en reconnaissant le déterminisme étroit auquel sont soumis les mouvements de ces hallucinés, éprouve-t-on quelque surprise à voir la machine humaine fonctionner, sous l’action d’un même agent mystérieux, avec cette uniformité fatale. Jeanne appartient à ce groupe religieux, et il est intéressant de la comparer à cet égard à sainte Catherine de Sienne[1], à sainte Colette de Corbie[2], à Yves Nicolazic, le paysan de Kernanna[3], à Suzette Labrousse, l’inspirée de l’Église

  1. Acta Sanetorum, 1675, Avril, III, 851.
  2. Ibid., Mars, 1, 532.
  3. Le Père Hugues de Saint-François, Les grandeurs de sainte Anne, Rennes, 1657, in-8°. — L’abbé Max Nicol, Sainte-Anne-d’Auray, Paris, Bruxelles, s. d. in-8°, pp. 37 et suiv. — M. le docteur G. de Closmadeuc a bien voulu me communiquer son précieux travail inédit sur Yves Nicolazic, dans lequel on retrouve là sûreté d’information et de critique qui caractérise ses études d’histoire locale.