Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands inventeurs sont de grands emprunteurs. C’est à croire qu’on ne s’agrandit pas sans voler. Ajoutons que, en prenant à l’imprimeur Geoffroy Tory ces verbocinations latiales, Rabelais s’est donné des verges pour se fouetter, car nous le verrons parfois latiniser aussi terriblement que ce jeune Limousin. Et celui-ci avait au moins une excuse : il était Limousin ; il ne savait que son patois et le latin d’école. Comment aurait-il parlé français ?

Étant à Orléans, Pantagruel fut prié par les habitants de placer dans le clocher une énorme cloche qu’on ne savait comment remuer. Ce fut un jeu pour le jeune géant que d’aller par les rues agitant cette cloche comme une sonnette. Les habitants, charmés, souriaient à la gentillesse de ce jeune prince. Leurs nez s’allongèrent le lendemain, quand ils s’aperçurent que cette sonnerie avait gâté tous leurs vins. Or, en ce temps-là, le vin des coteaux de Saint-Jean-le-Blanc passait pour baume divin. Notons à cette occasion que Rabelais haïssait les cloches. Il ne leur pardonnait pas d’avoir gouverné sa vie et troublé ses lectures grecques à Fontenay. Sans doute, bien des gens d’église alors partageaient cette aversion. Les philosophes du dix-huitième siècle n’entendaient pas avec plus de plaisir les gros bourdons des cathédrales. André Chénier, qui professait l’athéisme, demanda en beaux vers que l’airain funèbre ne gémît point sur son cercueil. Son vœu fut exaucé.