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en ces dernières années par la critique, je puis vous apporter en ce vieux sujet de curieuses nouveautés, et enfin et surtout parce que l’œuvre de ce grand homme est bonne, qu’elle dispose les esprits à la sagesse, à l’indulgence, à la gaieté bienfaisante, que la raison s’y plaît et s’y fortifie, que nous y apprenons l’art précieux de nous moquer de nos ennemis sans haine ni colère. Ce sont là, je crois, de bonnes raisons. Et peut-être aussi que, à mon insu, les difficultés de la tâche m’ont tenté. Vous faire connaître Rabelais, le grand Rabelais, le vrai Rabelais, sans blesser, sans choquer sans alarmer personne, sans offenser un moment les plus chastes oreilles, l’entreprise semble périlleuse. J’ai l’entière certitude de l’accomplir heureusement jusqu’au bout. Je suis sûr de ne pas prononcer un seul mot dont puisse s’alarmer la pudeur la plus délicate. Mais ce n’est pas tout. La vie de Rabelais est mêlée à ces grands mouvements de la Renaissance et de la Réforme dans lesquels se forma l’esprit moderne. Et cela encore était pour me décider dans mon choix. L’ampleur du sujet communiquera quelque force à ma parole. Je toucherai à ces questions avec une liberté digne de vous. Je vous estime trop pour ne vous pas dire tout ce que je croirai être la vérité. Car vous êtes vous-mêmes des hommes de vérité et j’ai abordé parmi vous, je le sais, je le sens, sur un sol libre, où rien ne gêne l’essor de la pensée. Ce serait vous offenser que de ne pas vous ouvrir toute mon âme