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un médecin de Chinon, qui s’appelait en réalité Gaucher-de-Sainte-Marthe. Son fils Charles devait plus tard appartenir à la reine de Navarre, homme sage et bon, qui toutefois ne pardonnerait jamais Picrochole à Rabelais. Et ce roi gigantesque et débonnaire, le bonhomme Grandgousier qui, après souper, se chauffe à un beau, clair et grand feu où grillent les châtaignes, qui écrit au foyer avec un bâton brûlé d’un bout, dont on escharbotte le feu, et qui fait à sa femme et à toute sa famille de beaux contes du temps jadis, c’est, n’en doutez pas, le propre père de notre auteur, Antoine Rabelais, licencié ès lois, avocat à Chinon. François n’a pensé d’abord qu’à conter plaisamment les disputes de Gaucher et de son père, et cette querelle de voisins, cette affaire de fouaces enlevées est devenue une épopée burlesque, grande comme l’Iliade. C’est le don de Rabelais de rendre immense tout ce qu’il touche. On dit que, semblablement, Miguel Cervantès commença d’écrire pour se moquer d’un hidalgo, contre lequel il avait un grief, son Don Quichotte, qui devait contenir une si large et joyeuse humanité. Ainsi donc, ce premier livre est un poème comique comme Le Lutrin, où de petits faits et de petites gens sont haussés plaisamment à la grandeur épique. Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qui est grand ? Qu’est-ce qui est petit en ce monde ? Tout dépend du sentiment de l’observateur et du ton du narrateur. Vous lirez