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chèrent bien. Ils le battirent comme plâtre et, l’ayant détroussé, lui jetèrent une méchante souquenille. Ainsi s’en alla le pauvre colérique et, passant l’eau près de Langeais, il conta ses mauvaises fortunes à une vieille bohémienne, qui lui prédit que son royaume lui serait rendu à la venue des cocquecigrues. « Depuis, dit notre auteur, ne sait-on ce qu’il est devenu. Toutefois, l’on m’a dit qu’il est présentement pauvre gagne-denier à Lyon, colère comme devant. Et toujours s’enquiert à tous les étrangers de la venue des cocquecigrues, espérant, selon la prophétie de la vieille, être, à leur venue, réintégré en son royaume. »

Ainsi se termina la guerre picrocholine. Cette querelle de rois, cette lutte formidable qui met aux prises des géants fabuleux, des capitaines illustres, un moine d’une vaillance inouïe et qui vaut à lui seul une armée, admirez qu’elle se déroule tout entière dans un coin fleuri du Chinonais, dans le petit coin où Rabelais vit s’écouler son enfance. Si le champ de bataille est le berceau de l’auteur, les héros de la guerre ne seraient-ils point du même endroit ? Ils en sont, n’en doutez point. Le méchant Picrochole et le bon Gargantua sont tous deux compatriotes du Frère François. La guerre gargantuane et picrocholine représente la rivalité de deux maisons notables du Chinonais. Ce Pyrrhus tourangeau, cet insatiable roi, ce colérique Picrochole, c’est