Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/64

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sant qu’ils vendangent le clos, court au chœur de l’église où les moines chantaient pour apaiser le Seigneur.

— C’est bien chanté, vertu Dieu ! s’écrie-t-il. Que ne chantez-vous : Adieu, paniers ! Vendanges sont faites ?

À ces mots, le prieur élève une voix indignée.

— Que fait cet ivrogne ici ? Qu’on le mène en prison ! Troubler ainsi le service divin !…

— Mais le service du vin, répliqua Frère Jean, faisons qu’il ne soit point troublé ; car vous-même, monsieur le prieur, aimez boire du meilleur. Ainsi fait tout homme de bien.

Ce disant, il met bas son grand habit, se saisit du bâton de la croix qui était de cœur de cormier, et donne brusquement sur les ennemis qu’il déconfit tous, jusqu’au nombre de treize mille six cent vingt-deux sans les femmes et les petits enfants.

Averti de l’invasion et du ravage de ses terres, Grandgousier fut rempli de surprise et de douleur. C’était un bon roi.

— Hélas ! Hélas ! s’écria-t-il, qu’est ceci ? Picrochole, mon ami ancien, de tout temps, de toute race et alliance, me vient assaillir ! Qui le meut ? Qui le poinct ? Qui l’a conduit ? Mon Dieu, mon sauveur, aide-moi, inspire-moi, conseille-moi. Je proteste, je jure devant toi, que jamais je ne lui fis déplaisir, ni dommage à ses gens. Bien au contraire je l’ai secouru d’hommes, d’argent,