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Il est fort inutile, n’est-ce pas, de montrer l’invraisemblance d’un tel récit.

On lit encore dans les anciennes vies de notre auteur un trait qui rappelle l’épisode du médecin de Sancho Pança dans l’île de Barataria :

Rabelais, médecin de Guillaume du Bellay, assistant au dîner de ce seigneur, frappe de sa baguette un plat contenant un beau poisson et le déclare indigeste. Sur cet arrêt, les serviteurs remportent intact à la cuisine le poisson que Maître François court dévorer, et, quand le seigneur Guillaume, surprenant son médecin attablé, lui demande pourquoi il mange d’un mets qu’il a déclaré mauvais pour l’estomac : « Ce n’était pas le poisson, répond Rabelais, que, du bout de ma baguette, je désignais comme indigeste ; c’était le plat qui le contenait. »

Voilà comment s’y prenaient nos pères pour rendre rabelaisienne la vie de Rabelais.

Il faut rapporter, bien qu’elle soit insipide et saugrenue l’historiette fameuse qui a donné lieu au dicton du Quart d’heure de Rabelais, puisque ce dicton a passé dans la langue. La voici :

Revenu de Rome, notre auteur se trouvait dans une hôtellerie de Lyon, mal vêtu, sans argent pour payer son gîte et regagner Paris où il avait affaire. En ces conjonctures, il prit de la cendre dans la cheminée et la renferma dans de petits sachets sur lesquels il écrivit : « Poison pour faire mourir le roi », « Poison pour faire mourir