Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, après tout, nous sommes libres de voir dans ce physetère tout ce que nous voulons. C’est un des grands attraits du livre que nous analysons ici, de fournir aux esprits des sens divers, selon leur curiosité et leur génie. L’île Farouche est peuplée d’andouilles. Au regard de l’île de Carême prenant, c’est le gras en face du maigre, et, si vous voulez, les calvinistes opposés aux papistes. Et, ce qui donne à croire que ces andouilles sont calvinistes, c’est qu’elles sont terribles. Panurge en a une peur bleue. Frère Jean à la tête des cuisiniers les charge impétueusement et les transperce de sa broche. Qu’est-ce à dire ? Rabelais veut-il si grand mal aux réformés ? Il nous semblait tout à l’heure incliner vers eux. Il faut y regarder de plus près. Il aimait assez les réformateurs de France ; il exécrait les réformés de Genève, les démoniaques Calvins, qui le lui rendaient bien. Les andouilles dont il nous conte si joyeusement le massacre et l’extermination, ce sont apparemment des andouilles genevoises. Si elles avaient été de Troyes, il en aurait eu pitié, et n’en aurait pas laissé faire un tel carnage.

Gardons-nous toutefois de donner un sens trop symbolique aux aventures des capitaines Riflandouille et Tailleboudin et de Niphleseth, reine des andouilles, des habitants de Ruach qui ne vivent que de vent, et du géant Bringuenarilles qui se nourrissait de moulins à vent et qui mourut étouffé en mangeant un coin de beurre frais à la