Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le Pape, à la sollicitation du cardinal abbé, les religieux y avaient état de chanoines. Rabelais dès lors en semblait exclu, à moins d’un nouveau bref, l’autorisant à obtenir le canonicat. Or, quitter Saint-Maur, à l’entendre, c’était quitter le paradis. Paradis de salubrité, disait-il, d’aménité, de sérénité, de délices, et de tous les honnêtes plaisirs d’agriculture et vie rustique. On ne sait ce qu’il advint de cette supplique, et il n’y a guère d’intérêt à le savoir. Rabelais, pas plus qu’Éve, ne pouvait tenir dans un paradis ; il avait, comme elle, trop de curiosité pour cela.

On le trouve encore à Paris quand l’imprimeur humaniste Étienne Dolet, poursuivi comme meurtrier et gracié par le roi, donna dans cette ville, pour y célébrer la clémence royale, un banquet où il réunit une foule illustre de savants, de lettrés et de poètes, Guillaume Budé, Danès, Toussain, Macrin, Bourbon, Voulté, Clément Marot, le Virgile gaulois, et François Rabelais, qui y était invité à titre d’excellent médecin. Étienne Dolet nous a transmis lui-même en vers latins et le nom des convives et le sujet des conversations. On parla sous la rose des plus habiles écrivains, dont se glorifiaient les pays étrangers. Érasme, Mélanchthon, Bembo, Sadolet, Vida, Jacques Sannazar, et chacun de ces noms fut salué d’acclamations bruyantes. Si la muse antique d’Étienne Dolet n’a pas renchéri sur l’austérité des discours, ce banquet fut un banquet de sages et les orgies