ment. Elle y voyait ce que je n’y vois pas. C’était pour elle la source vive et l’haleine embaumée. Il serait absurde de lui donner tort. La gracieuse créature savait ce qu’elle lisait. Elle était jeune, et le livre était frais.
Bien qu’il écrivît l’œil fixé sur la postérité (il l’a dit lui-même, et c’est l’attitude qu’il garde en son portrait), Gabriel Legouvé avait sans doute composé son poème pour ma grand-mère, qui était en 1801 une belle enfant vêtue d’un fourreau de mousseline blanche, plutôt que pour vous et moi qui n’étions pas nés. C’est pourquoi je suis tenté de croire que le Mérite des Femmes était un poème excellent et qui s’est gâté depuis. Autrement, je ne m’expliquerais pas que ma grand-mère y eût fait sécher des fleurs.
Il est vrai que je ne sais pas au juste à quoi elle pensait en lisant le Mérite des Femmes. Elle ne pensait peut-être pas à ce qu’elle lisait. Elle avait peut-être plus à dire à son petit livre que son petit livre n’avait à lui dire. Mais les poètes sont coutumiers de pareilles confidences ; nous ne les aimerions pas tant s’ils n’étaient pas faits pour nous écouter plus encore que pour nous parler. Ils sont des confidents quand ils ne sont pas des entremetteurs.